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La suicidée et le casier de son ami ne font pas bon ménage
Contre l'avis du juge et sans preuves, Yves, au lourd passé judiciaire,reste incarcéré pour le meurtre de Béatrice.

Par Michel HENRY
samedi 01 février 2003

Marseille de notre correspondant

 

e 3 juin 2002, Yves Loviconi appelle la police marseillaise. Sa compagne, Béatrice Magnard, qui partage sa vie depuis quatre mois, vient de se suicider, raconte-t-il. Il dit être arrivé dans la cave de leur domicile quand Béatrice tenait son pistolet Herstal 7,65 mm à la main. Il dit avoir tenté de la désarmer. En vain. Elle a tiré un coup en l'air, puis un second, qui s'est logé dans son crâne. Mère de trois enfants, Béatrice avait déjà tenté de mettre fin à ses jours. Suicide, donc ? La scène n'a pas eu de témoins. Et le SRPJ de Marseille se montre sourcilleux.

D'abord, on n'a pas relevé de résidus de tir sur les mains de Béatrice Magnard. En revanche, on en trouve sur celles de Loviconi ­ ce qui peut s'expliquer, puisqu'il a touché la victime. On dénombre également des ecchymoses sur le corps de Béatrice, comme s'il y avait eu bagarre. Enfin, la trajectoire de tir, de haut en bas, semble peu cohérente avec un suicide. Et surtout, Yves Loviconi a déjà eu des ennuis avec la justice. Condamné en 1972 pour complicité d'assassinat, puis en 1984 pour des braquages, ce militant indépendantiste corse a passé treize ans en détention. Nul doute que ce passé, dont il est pourtant rangé depuis 1993, pèse lourd.

Juge dubitatif. Le 6 juin, Yves Loviconi, 56 ans, cadre dans une entreprise de nettoyage, est mis en examen pour homicide volontaire et écroué. Mais cinq mois plus tard, le juge d'instruction, beaucoup plus dubitatif, le libère.

Car au fil des expertises, toutes favorables au prévenu, les charges se sont rétrécies. Fin octobre, un expert révèle la présence éventuelle de résidus de tir sur les mains de la victime et explique que, les prélèvements ayant été effectués trois heures après le décès, les autres traces ont pu disparaître. D'autre part, les ecchymoses constatées peuvent provenir d'une chute de Béatrice la veille des faits, qui souffrait d'une «fragilité vasculaire capillaire susceptible de majorer considérablement l'importance des lésions cutanées». «Il n'y a pas d'éléments en faveur d'actes de violence», affirme cet autre expert. Quant au mobile éventuel, le fils aîné de la victime, après avoir parlé d'une rupture en cours, assure que «[sa] mère avait retrouvé un peu de stabilité avec Loviconi». L'absence de texte annonçant un suicide ne choque pas le mari de la victime, dont elle était séparée : «Chaque fois qu'elle a tenté de mettre fin à ses jours, elle n'a jamais prévenu personne à l'avance.»

Pour le juge marseillais Régis Mollat, qui a libéré Yves Loviconi le 6 novembre, le passé pénal du prévenu ne doit pas jouer en sa défaveur : «Depuis, il s'est inséré socialement, et lesdites condamnations [relevaient] d'ailleurs du banditisme ou du nationalisme, et non pas, comme en l'espèce, de faits d'ordre sentimental et/ou psychologique.»

Machine à laver. Le parquet de Marseille ne l'entend pas ainsi. Il fait appel, et la chambre de l'instruction de la cour d'Aix-en-Provence infirme l'ordonnance de mise en liberté, le 11 décembre. «La thèse du suicide n'est nullement établie», estime la cour, qui a pourtant en main les mêmes éléments que le juge. Mêmes éléments, mais interprétation contraire : il y a de «fortes présomptions» contre Yves Loviconi, assure la cour. Ainsi, comment la victime pouvait-elle savoir qu'il avait, la veille des faits, caché un pistolet dans une machine à laver ? Selon les magistrats, il faut encore «de nombreuses investigations, dont une reconstitution». Le 19 décembre, Loviconi retourne en prison.

Depuis, une autre expertise a levé le doute sur la trajectoire de tir : «Rien ne s'oppose en l'état à l'hypothèse du suicide», estime l'expert balistique. Les avocats d'Yves Loviconi, Mes Pierre Bruno et Jean-Yves Lienard, espèrent que la future reconstitution permettra de conforter définitivement la thèse du suicide. Mais, pour l'instant, leur client reste en prison, la cour d'appel ayant rejeté sa demande de mise en liberté. Son comité de soutien estime qu'on lui fait payer son passé. «L'accuser du meurtre de la femme qu'il aimait, alors que celle-ci s'est suicidée, est une torture morale inacceptable», affirme le comité.

 

© Libération

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